Un stratège de référence : Richelieu
Le cardinal Armand Jean du Plessis de Richelieu fait partie des meilleurs stratèges que la France ait connu. En tant que ministre, il doit argumenter ses choix politiques et militaires auprès du roi Louis XIII. Cette position est d'un intérêt majeur pour nous : elle nous permet de disposer, grâce à ses écrits, de toute son argumentation. En avril 1624, Richelieu entre au conseil du roi. Il lui propose, dès lors, trois oblectifs politiques :
« Ruiner le parti huguenot ; rabaisser l’orgueil des grands ; réduire tous les sujets en leur devoir et relever le nom du roi dans les nations étrangères au point où il devait être ». A sa mort, le 4 décembre 1642, deux de ces objectifs seront atteints.
Ruiner le parti huguenot : Richelieu réprimera une première rébellion le huguenots en 1625 mais, soutenus par l'Angleterre, ceux-ci reprendront les armes l'année suivante. La paix est signée en 1629 suite aux prises de la Rochelle et au massacre de la population de Privas par l'armée royale. L’Edit de grâce du 27 juin 1629 mettait fin au soulèvement protestant du Languedoc. Richelieu affirme alors, au tout début de l'année 1630 : « Depuis six ans que le cardinal est dans les affaires, la France, reprenant quelque vigueur, s’est opposée aux torrents des usurpations d’Espagne, qui avaient en leur cours libre depuis la mort du feu Roi, mais avec ce désavantage, que la plupart de ses forces étaient diverties, ou par autres guerres étrangères, ou par les civiles qu’elle avait elle-même. Maintenant qu’elle a contraint les anglais de lui demander la paix, et a éteint le feu de la rébellion de l’hérésie, elle a toutes ses forces libres pour les employer, en Italie, à désabuser l’Espagne de la croyance qu’elle a de pouvoir envahir les états d’autrui, d’autant plus hardiment que moins elle pense que la France soit assez puissante pour arrêter le cours de ses injustes entreprises ».
Rabaisser l’orgueil des grands : En 1630, le frère de Louis XIII, Gaston d'Orléans, est à l'origine d'un soulèvement de la noblesse du royaume. Il est soutenu par Henri II de Montmorency, celui-ci ayant été influencé par la reine-mère Marie de Médicis. Il obtient le ralliement des États du Languedoc : le 22 juillet 1632, le Languedoc fait sécession bien que la ville de Toulouse reste fidèle au roi. La rencontre des armées royales et des rebelles aura lieu devant Castelnaudary, le 1er septembre 1632 et se soldera par la défaite du maréchal de Schomberg qui commandait l'armée rebelle.
Réduire tous les sujets en leur devoir et relever le nom du roi dans les nations étrangères au point où il devait être : En Lorraine, le duc Charles IV accueillait régulièrement, depuis 1629, les ennemis de Richelieu ou de Louis XIII et prenait part à la guerre aux côtés de Tilly, contre les suédois alliés des français. Charles IV ayant autorisé l’occupation de forteresses située sur la route de Nancy à Strasbourg par des troupes impériales, Louis XIII, assisté des maréchaux d’Effiat et de la Force, mena en décembre 1631 l’armée sur place. Un traité fut signé le 6 janvier 1632 entre Louis XIII et Charles IV mais celui-ci reprenait rapidement son alliance active avec Ferdinand II, entraînant d’autres interventions des armées des maréchaux d’Effiat et de La Force au cours des années 1632 et 1633. Charles IV capitulait le 20 septembre 1633 et l’armée française pénétrait dans Nancy le 25 septembre. Puis le duc de Lorraine abdiquait le 19 janvier 1634, laissant le pouvoir à son frère.
(Ci-dessous : Richelieu devant la Rochelle, par Henri Motte)
Sur le plan international, le cardinal proposait en 1632 le choix suivant au roi : « Pour se résoudre promptement, il fallait considérer qu’en l’état présent des affaires d’Allemagne, elle (Sa Majesté) ne pouvait agir qu’en l’une de ces quatre manières :
1° ou se joindre avec le Roi de Suède pour faire la guerre ouvertement à la maison d’Autriche ;
2° ou s’accommoder avec l’empereur et l’Espagne pour faire conjointement la guerre au roi de Suède et aux princes protestants ;
3° ou essayer de faire accepter la neutralité aux trois électeurs catholiques ès termes qu’elle était proposée par le roi de Suède, s’il ne voulait consentir à d’autres meilleurs, et le laisser continuer la guerre en Allemagne sans s’en mêler, mais seulement tenir quelques troupes sur la frontière pour s’en servir en tout événement ;
4° ou bien, ladite neutralité, se rendre en outre maître de l’Alsace, de Brisach et des passages du Rhin qu’y tenaient les électeurs catholiques, et avoir là une armée pour s’en servir aux occasions. »
Mais il repoussait la seconde manière, rappelant que « le peu d’assurance que l’on devait prendre à la fois des Espagnols, le danger de laisser tellement accroître la maison d’Autriche qu’elle fût formidable à la France, et nous obligeât à une guerre éternelle pour nous défendre contre elle ou contre les autres ennemis du dehors ou du dedans qu’elle pouvait en ce cas nous susciter ». Le roi ne se résout cependant ni au premier, ni au second scénario, ne souhaitant pas la guerre et voulant autant éviter la rupture avec le roi de Suède qu’avec la maison d’Autriche. Il optait donc pour la neutralité et les événements allaient le pousser à intervenir en Lorraine. Richelieu ne renonce pas et engage le roi, au début de l’année 1633, à financer la guerre en Allemagne et en Hollande, craignant que « si la paix se faisait en Allemagne et la trêve en Hollande, ou l’une des deux seulement, la France aurait à supporter seule une guerre défensive, qu’on lui apporterait jusque dans ses entrailles, sans qu’elle la pu éviter. »
La France finira par entrer dans la guerre de Trente ans en 1635 suite à la défaire suédoise de Nördlingen (1634), aux côtés des puissances protestantes. Richelieu justifie ce parti de la manière suivante : « Après avoir longtemps lutté contre la guerre, à laquelle l’ambition d’Espagne nous voulait obliger depuis quelques années, ou sa mauvaise volonté contre cet état, lequel, comme une forte montagne qui resserre le cours d’un torrent impétueux, empêche que leur monarchie n’inonde toute l’Europe ; après avoir été longtemps occupé à nous parer de leurs embûches et entreprises continuelles contre ce royaume, et y avoir, avec une particulière bénédiction de Dieu, remédié heureusement par une vigilance infatigable (…) ; enfin cette année, il nous est impossible de reculer davantage, et sommes contraints d’entrer en guerre ouverte avec eux, guerre que nous leur déclarons, mais que nous ne leur faisons pas les premiers, vu que c’est eux qui nous attaquent et qui nous y forcent par tant d’hostilités, tant d’injures réelles, tant de préparatifs qu’ils font de longue main pour nous opprimer tout à coup, que nous sommes contraints pour nous défendre de leur déclarer que nous ne voulons plus souffrir la guerre couverte qu’ils nous font, et qu’ils déguisent devant le monde du nom trompeur de paix, laquelle à bien prendre n’a point été commencée de leur part entre nous, depuis la fin que le traité de Vervins imposa à la dernière rupture qui était entre Henri IV et eux. »
Le cardinal de Richelieu mourra le 4 décembre 1642, précédant le roi Louis XIII de six mois. Mais il faudra encore attendre six ans pour que le traité de Westphalie (24 octobre 1648) mette fin à la guerre de Trente ans et onze années de plus pour que le traité des Pyrénées (7 novembre 1659) mette un point final à la guerre contre l'Espagne. La France sortira fortifiée de ces deux conflits grâce à ce ministre mais aussi au cardinal Mazarin qui lui a succédé.
Nous avons ici une parfaite illustration d'une stratégie qui sera menée à bien grâce à un plan d'action clairement défini et une volonté de fer pour le mener à bien. Même si il aura fallu trente-cinq ans pour qu'enfin, le nom du roi soit relevé au point où il devait être dans les nations étrangères.
Stéphane T.