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Le coin des stratèges

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18 mai 2012

Un stratège de référence : Richelieu

Le cardinal Armand Jean du Plessis de Richelieu fait partie des meilleurs stratèges que la France ait connu. En tant que ministre, il doit argumenter ses choix politiques et militaires auprès du roi Louis XIII. Cette position est d'un intérêt majeur pour nous : elle nous permet de disposer, grâce à ses écrits, de toute son argumentation. En avril 1624, Richelieu entre au conseil du roi. Il lui propose, dès lors, trois oblectifs politiques :

« Ruiner le parti huguenot ; rabaisser  l’orgueil des grands ; réduire tous les sujets en leur devoir et relever le nom du roi dans les nations étrangères au point où il devait être ». A sa mort, le 4 décembre 1642, deux de ces objectifs seront atteints.

Ruiner le parti huguenot  : Richelieu réprimera une première rébellion le huguenots en 1625 mais, soutenus par l'Angleterre, ceux-ci reprendront les armes l'année suivante. La paix est signée en 1629 suite aux prises de la Rochelle et au massacre de la population de Privas par l'armée royale. L’Edit de grâce du  27 juin 1629 mettait fin au soulèvement protestant du Languedoc. Richelieu affirme alors, au tout début de l'année 1630 : « Depuis six ans que le cardinal est dans les affaires, la France, reprenant quelque vigueur, s’est opposée aux torrents des usurpations d’Espagne, qui avaient en leur cours libre depuis la mort du feu Roi, mais avec ce désavantage, que la plupart de ses forces étaient diverties, ou par autres guerres étrangères, ou par les civiles qu’elle avait elle-même. Maintenant qu’elle a contraint les anglais de lui demander la paix, et a éteint le feu de la rébellion de l’hérésie, elle a toutes ses forces libres pour les employer, en Italie, à désabuser l’Espagne de la croyance qu’elle a de pouvoir envahir les états d’autrui, d’autant plus hardiment que moins elle pense que la France soit assez puissante pour arrêter le cours de ses injustes entreprises ».

Rabaisser l’orgueil des grands : En 1630, le frère de Louis XIII, Gaston d'Orléans, est à l'origine d'un soulèvement de la noblesse du royaume. Il est soutenu par Henri II de Montmorency, celui-ci ayant été influencé par la reine-mère Marie de Médicis. Il obtient le ralliement des États du Languedoc : le 22 juillet 1632, le Languedoc fait sécession bien que la ville de Toulouse reste fidèle au roi. La rencontre des armées royales et des rebelles aura lieu devant Castelnaudary, le 1er septembre 1632 et se soldera par la défaite du maréchal de Schomberg qui commandait l'armée rebelle.

Réduire tous les sujets en leur devoir et relever le nom du roi dans les nations étrangères au point où il devait être : En Lorraine, le duc Charles IV accueillait régulièrement, depuis 1629, les ennemis de Richelieu ou de Louis XIII et prenait part à la guerre aux côtés de Tilly, contre les suédois alliés des français. Charles IV ayant autorisé l’occupation de forteresses située sur la route de Nancy à Strasbourg par des troupes impériales, Louis XIII, assisté des maréchaux d’Effiat et de la Force, mena en décembre 1631 l’armée sur place. Un traité fut signé le 6 janvier 1632 entre Louis XIII et Charles IV mais celui-ci reprenait rapidement son alliance active avec Ferdinand II, entraînant d’autres interventions des armées des maréchaux d’Effiat et de La Force au cours des années 1632 et 1633. Charles IV capitulait le 20 septembre 1633 et l’armée française pénétrait dans Nancy le 25 septembre. Puis le duc de Lorraine abdiquait le 19 janvier 1634, laissant le pouvoir à son frère.

(Ci-dessous : Richelieu devant la Rochelle, par Henri Motte)

Richelieu à La Rochelle

Sur le plan international, le cardinal proposait en 1632 le choix suivant au roi : « Pour se résoudre promptement, il fallait considérer qu’en l’état présent des affaires d’Allemagne, elle (Sa Majesté) ne pouvait agir qu’en l’une de ces quatre manières :
1° ou se joindre avec le Roi de Suède pour faire la guerre ouvertement  à la maison d’Autriche ;
2° ou s’accommoder avec l’empereur et l’Espagne pour faire conjointement la guerre au roi de Suède et aux princes protestants ;
3° ou essayer de faire accepter la neutralité aux trois électeurs catholiques ès termes qu’elle était proposée par le roi de Suède, s’il ne voulait consentir à d’autres meilleurs, et le laisser continuer la guerre en Allemagne sans s’en mêler, mais seulement tenir quelques troupes sur la frontière pour s’en servir en tout événement ;
4° ou bien, ladite neutralité, se rendre en outre maître de l’Alsace, de Brisach et des passages du Rhin qu’y tenaient les électeurs catholiques, et avoir là une armée pour s’en servir aux occasions. »

Mais il repoussait la seconde manière, rappelant que « le peu d’assurance que l’on devait prendre à la fois des Espagnols, le danger de laisser tellement  accroître la maison d’Autriche qu’elle fût formidable à la France, et nous obligeât à une guerre éternelle pour nous défendre contre elle ou contre les autres ennemis du dehors ou du dedans qu’elle pouvait en ce cas nous susciter ». Le roi ne se résout cependant ni au premier, ni au second scénario, ne souhaitant pas la guerre et voulant autant éviter la rupture avec le roi de Suède qu’avec la maison d’Autriche. Il optait donc pour la neutralité et les événements allaient le pousser à intervenir en Lorraine. Richelieu ne renonce pas et engage le roi, au début de l’année 1633, à financer la guerre en ­Allemagne et en Hollande, craignant que « si la paix se faisait en Allemagne et la trêve en Hollande, ou l’une des deux seulement, la France aurait à supporter seule une guerre défensive, qu’on lui apporterait jusque dans ses entrailles, sans qu’elle la pu éviter. »

La France finira par entrer dans la guerre de Trente ans en 1635 suite à la défaire suédoise de Nördlingen (1634), aux côtés des puissances protestantes. Richelieu justifie ce parti de la manière suivante : « Après avoir longtemps lutté contre la guerre, à laquelle l’ambition d’Espagne nous voulait obliger depuis quelques années, ou sa mauvaise volonté contre cet état, lequel, comme une forte montagne qui resserre le cours d’un torrent impétueux, empêche que leur monarchie n’inonde toute l’Europe ; après avoir été longtemps occupé à nous parer de leurs embûches et entreprises continuelles contre ce royaume, et y avoir, avec une particulière bénédiction de Dieu, remédié heureusement par une vigilance infatigable (…) ; enfin cette année, il nous est impossible de reculer davantage, et sommes contraints d’entrer en guerre ouverte avec eux, guerre que nous leur déclarons, mais que nous ne leur faisons pas les premiers, vu que c’est eux qui nous attaquent et qui nous y forcent par tant d’hostilités, tant d’injures réelles, tant de préparatifs qu’ils font de longue main pour nous opprimer tout à coup, que nous sommes contraints pour nous défendre de leur déclarer que nous ne voulons plus souffrir la guerre couverte qu’ils nous font, et qu’ils déguisent devant le monde du nom trompeur de paix, laquelle à bien prendre n’a point été commencée de leur part entre nous, depuis la fin que le traité de Vervins imposa à la dernière rupture qui était entre Henri IV et eux. »

Le cardinal de Richelieu mourra le 4 décembre 1642, précédant le roi Louis XIII de six mois. Mais il faudra encore attendre six ans pour que le traité de Westphalie (24 octobre 1648) mette fin à la guerre de Trente ans et onze années de plus pour que le traité des Pyrénées (7 novembre 1659) mette un point final à la guerre contre l'Espagne. La France sortira fortifiée de ces deux conflits grâce à ce ministre mais aussi au cardinal Mazarin qui lui a succédé.

Nous avons ici une parfaite illustration d'une stratégie qui sera menée à bien grâce à un plan d'action clairement défini et une volonté de fer pour le mener à bien. Même si il aura fallu trente-cinq ans pour qu'enfin, le nom du roi soit relevé au point où il devait être dans les nations étrangères.

Stéphane T.

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14 mai 2012

La tactique militaire est semblable à l’eau

« La tactique militaire est semblable à l’eau ; car l’eau, obéissant à son cours naturel, descend des lieux élevés et se précipite vers le bas. De même, dans la guerre, le procédé permettant d’éviter ce qui est fort et d’attaquer ce qui est faible. L’eau modèle son cours d’après le terrain sur lequel elle coule ; le soldat construit sa victoire en fonction de l’ennemi qui se trouve devant lui ». Cette belle affirmation de Sun Tzu mérite illustration.

En remontant les siècles, on trouve les meilleurs exemples de ce principe chez les peuples nomades qui déferlèrent sur les mondes sédentaires, pour atteindre leur objectif de développement et de croissance. La conquête de nouveaux marchés est un moyen récurrent d'atteindre ce type d'objectif... C'est donc ce que firent les Huns à la fin du IVe et durant la première moitié du Ve siècle ou les Mongols au début du XIIIe siècle. Les premiers, tels des torrents, envahirent l'Occident et l'Inde après avoir été arrétés aux frontières de la Chine. Les seconds soumettront le Moyen-Orient, la Russie et la Chine.

Parmi les innombrables exemples que l'histoire nous ait donné, j'en ai retenu un plus près de nous, aux frontières de la France et au milieu du XVIIe siècle. C'est un des plus grands généraux français qui en est à l'acteur principal : Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne. La campagne d’Alsace de 1674-75, face à Montecuccoli, est considérée comme le chef d’oeuvre de Turenne. Cependant, une trentaine d’années plus tôt, sa campagne de 1646 sur le Rhin est tout aussi magistrale. Napoléon lui-même qualifiait sa marche le long du Rhin, sur le Danube et le Lech, « pleine d’audace et de sagesse ». Et il estimait que « les manœuvres pour déposter l’archiduc de son camp entre Memmingen et Landsberg sont pleine d’audace, de sagesse et de génie ; elles sont fécondes en grands résultats. Les militaires les doivent étudier. »

Nous sommes dans les dernières années de cette guerre que l'histoire appellera « Guerre de Trente ans ». Au début de l’année 1646, les négociations à Munster et à Osnabrück sont délicates : Français et Suédois, alliés depuis l'année 1635, ne se font pas confiance. Mazarin cherche à éviter l’abaissement de la Maison de Bavière, « dont la chute aurait mis les Suédois en état de se passer des troupes & des subsides de la France », mais aussi pour prévenir la ruine de la religion catholique dans l’Empire. Son objectif est donc de séparer la Bavière de son allié impérial (l'empire des Habsbourg). La France a néanmoins besoin de la Suède pour atteindre cet objectif et mettre fin à la guerre.

Sur le terrain, Turenne est le seul à pouvoir s’entendre avec les Suédois : le général Wrangel, immobilisé en Hesse par les Impériaux, l’appelle à l’aide. Mais le duc de Bavière, par ses manigances, réussit à obtenir de Mazarin que Turenne ne franchisse pas le Rhin. Les Impériaux et les Bavarois en profitent pour placer leurs forces entre Français et Suédois.

Turenne

Ci-dessus : le maréchal Turenne.

Il en faut plus pour décourager le Vicomte : il écrit au Cardinal et, « sans attendre la réponse, il se hâte d’exécuter ce qu’il avait médité ». Laissant une partie de son infanterie à Mayence, il passe la Moselle au-dessus de Coblenz, et marche vers le Nord dans le but de passer le Rhin en Hollande. Après un premier refus de la garnison de Vesel, il finit par obtenir un accord lui permettant de traverser le Rhin, le 15 juillet. Puis il prévient Wrangel de son arrivée, traverse les comtés de la Marck et de Lippe, la Westphalie et atteint la Hesse le 10 août, où il fait sa jonction avec le Suédois. « Cette jonction tant désirée se fit avec l’appareil convenable & les marques d’honneur dues aux armes de France ; les Suédois se mirent en bataille, firent deux salves, & voulurent que le vicomte de Turenne donnât l’ordre. »
Apprenant l’arrivée des Français, les Impériaux et les Bavarois, qui n’ont jusque-là osé attaquer les Suédois, n’ont d’autre choix que de se retirer. L’armée franco-suédoise compte maintenant 7 000 fantassins, 10 000 cavaliers et 60 pièces d’artillerie contre 10 000 fantassins, 14 000 cavaliers et 50 pièces d’artillerie pour les Impériaux, selon Ramsay, le biographe de Turenne. « Cette supériorité n’empêcha pas le Vicomte de marcher à eux, & d’avancer jusqu’à la rivière du Mein, près de Fridberg ». L’Archiduc Leopold, qui commande les forces impériales et bavaroises, préfère se retrancher. Qu’importe, « Turenne ne voulait que le passage » ! Il se dirige vers Francfort et récupère le reste de son infanterie laissée à Mayence. Puis, conjointement avec les Suédois de Wrangel, ils passent le Mein, suivent cette rivière, prenant Selingenstadt et Afchassembourg au passage. Le duc de Bavière prend peur, fait détruire plusieurs ponts sur le Danube et se plaint amèrement à l’Empereur de l’inaction de l’Archiduc Leopold. « Au grand étonnement de toute l’Europe, les armées de France et de Suède entrèrent dans la Franconie et dans la Souabe, & passèrent le Danube à Donawert & à Lauingen », après avoir pris quelques villes. Le 22 septembre, les alliés traversent le Lech. Pendant que les Suédois vont assiéger Rain, Turenne va sommer Augsbourg de se rendre. Mais Wrangel, prétextant des difficultés, rappelle le Français pour l’aider à réduire Rain, le détournant d’Augsbourg. Le Suédois, convaincu des droits de son pays sur cette ville, ne veut pas qu’elle soit prise par le Français. « Turenne connut alors la vraie raison pour laquelle Wrangel l’avait appelé, et la faute que lui-même avait faite en abandonnant Augsbourg. Mais, comme l'écrit Ramsay, il n’était plus temps de la réparer ». L’Empereur, qui craint maintenant la défection des Bavarois, ordonne à l’Archiduc Leopold de se porter au secours de la ville. Celui-ci quitte alors Fulda, entre la Hesse et la Franconie, et arrive sous Augsbourg, « à la tête d’une armée fort supérieure à celle des alliés », les forçant à se retirer vers Lauingen. Nous sommes début novembre. Le plan de l’Archiduc, qui a dressé son camp entre Memmingen et Landsberg, est d’attendre que les Alliés manquent de fourrages pour ensuite les attaquer et les rejeter en Franconie. Turenne et Wrangel, ayant « pénétré ses vues, prirent le parti d’aller à lui ». Ils trouvent le camp de l’Archiduc puissamment fortifié, mais il en faut plus pour les décourager : les généraux alliés font mine de vouloir attaquer puis, laissant « un grand front de 2000 chevaux qui couvrait la marche du reste de l’armée », foncent vers le Lech qu’ils traversent sur un pont qui n’a pas été détruit, et prennent Landsberg au nez et à la barbe de l’Archiduc. Or Landsberg renferme les magasins impériaux, soit six semaines de provisions ! Les Impériaux, privés de vivres, se voient contraints de repasser le Lech et, se séparant des Bavarois, repartent hiverner dans les pays héréditaires. Les conséquences de cette manoeuvre sont incalculables : le duc de Bavière, « aigri contre Leopold », est maintenant « résolu à abandonner le parti de l’Empereur…» et le 14 mars 1647 le duc de Bavière signe un protocole de paix.

Cette campagne militaire de Turenne est brillante parce qu'elle permit à la France d'atteindre ses objectifs sans qu'aucune bataille ne soit livrée. Turenne, comme l'eau qui obéit à son cours naturel, descendant des lieux élevés et se précipitant vers le bas,  commence par contourner les forces ennemis qui lui barrent le passage, en remontant vers le nord (les Pays-Bas) alors que son objectif est au sud, puis redescend vers la Bavière, prenant plusieurs places au passage. Il termine cette superbe campagne en fixant l'ennemi grâce à un rideau de cavalerie et en prenant, au nez et à la barbe de l'ennemi, ses magasins de provisions !

13 mai 2012

Les fondements de la stratégie

 

La stratégie est, à l'origine, l'art de conduire une armée (du grec stratos qui signifie armée et ageîn qui signifie conduire). Par extension, on peut aujourd'hui la définir comme l'art de diriger et de coordonner des actions pour atteindre un objectif déterminé.
Aujourd’hui comme hier, une société ne peut prospérer, c’est à dire se développer et réussir, sans définir et appliquer une stratégie claire. Dans les années quatre-vingt, Philip Kotler et Bernard Dubois écrivaient qu’une entreprise « ne peut se contenter d’analyser sa situation présente, mais se doit d’élaborer une stratégie à long terme tenant compte des évolutions intervenant dans son secteur. Il n’y a pas de stratégie qui soit bonne quelle que soit l’entreprise considérée ; aussi chacune d’elles doit-elle prendre en considération sa position particulière sur le marché ainsi que ses objectifs, opportunités et ressources ». Dans leur ouvrage Marketing Management, ils développaient ensuite trois concepts fondamentaux à prendre en compte dans l’analyse pour qu’une entreprise puisse se développer dans un environnement instable : l’adaptation de l’entreprise à son environnement, le rythme d’évolution externe et la souplesse d’adaptation de l’organisation.


Confucius (551-479 avant J.-C.) a dit : « l’expérience est une lanterne que l’on porte sur le dos et qui n’éclaire jamais que le chemin parcouru ». Or, comme nous l’avons vu, stratégie ne peut se dissocier, à l’origine, de l’art de la guerre. L’objectif de ce blog est donc de revenir aux sources, aux fondements de la stratégie, pour éclairer notre chemin.


Je ne peux m’empêcher, en introduction de ce blog, de citer un des grands maîtres de la stratégie, un des plus anciens qui nous sont connus, contemporain de Confucius : Sun Tzu (ou Sun Zi - 544-496 avant J.-C.) : « La tactique militaire est semblable à l’eau ; car l’eau, obéissant à son cours naturel, descend des lieux élevés et se précipite vers le bas. De même, dans la guerre, le procédé permettant d’éviter ce qui est fort et d’attaquer ce qui est faible. L’eau modèle son cours d’après le terrain sur lequel elle coule ; le soldat construit sa victoire en fonction de l’ennemi qui se trouve devant lui ».
De tels préceptes s’appliquent à toutes les stratégies, qu’elles soient militaire, économique, politique ou sociale.

Sun-Tzu

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